Un grand éwé est mort,

Un grand éwé est mort,

 

 

Pour saluer le poète-écrivain ghanéen Kofi Awoonor

Un grand éwé est mort, que résonne l’atopani

 J’ai passé presque deux heures à chercher l’extrait sur Internet. Et je l’ai retrouvé, caché parmi des textes en            anglais sur un blog littéraire. Je l’ai lu, et j’ai retrouvé les vers que je recherchais : « There was that miracle we hoped for/That salvation we longed for/For which we said many prayers/Offered many offerings. » J’ai revu ces vers écrits en noir, à la main, sur une page jaunie par les ans, dans un livre posé sur la première étagère – celle des livres de chevet – de la bibliothèque de mon père.

Ces vers, c’était la preuve, la grande preuve que brandissait mon père, pour affirmer qu’il avait rencontré l’auteur du livre « This Earth, My Brother », durant une des conférences de ce dernier à Londres dans les années 80. « Tu sais, c’est lui-même qui me l’a dédicacé de sa propre main. Cet homme reste pour moi l’écrivain qui a le mieux écrit notre peuple éwé dans une langue étrangère. A travers lui, tous ceux qui liront ses livres sauront qui nous sommes, nous les éwés », me disait-il avec fierté, chaque fois qu’il prenait le livre pour en relire un extrait, exercice qu’il faisait avec ses livres préférés, et que je ne comprenais pas à l’époque.

Je ne pouvais donc pas ne pas aimer Kofi Awoonor. Il était, avec Chinua Achebe, les modèles que me renvoyait mon père. L’écrivain qui doit être le messager de son peuple, chargé de colporter leurs messages aux autres, faire découvrir les siens au monde entier. Ce qu’était Kofi Awoonor pour notre peuple, le peuple éwé. Je ne l’ai pas, honnêtement, beaucoup lu, son œuvre étant essentiellement poétique, genre que j’ai abandonné depuis mes premières années au collège pour la prose. Mais son nom a toujours sonné en moi avec la même solennité que les noms de tous ces grands auteurs anglophones ayant forgé ma culture littéraire de collégien : Chinua Achebe, Francis Selormey, Elichi Amadi, Georges Orwell, Jonathan Swift, Mark Twain, les Frères Grimm…

De son premier livre « Rediscovery and Other Poems » (1964) à son dernier « The African Predicament » (2006), Kofi Awoonor a été reconnu comme un auteur ayant laissé au Ghana, à l’Afrique, au monde entier, une œuvre aux racines enfoncées dans la culture éwé, mais aux branches ouvertes sur l’univers, l’humanité. Il a été assassiné, à 78 ans, presque au soir de sa vie bien remplie, par des serviteurs de Dieu. Des serviteurs de Dieu ? Bien sûr ! Comme ils invoquent Dieu, les tueurs, font des signes religieux, récitent des paroles religieuses, se justifient par des textes religieux, chaque fois qu’ils tirent leurs balles assassines sur des innocents.

Kofi Awoonor méritait une mort plus paisible, moins horrible, peut-on s’indigner. Mais il y a très longtemps que nos indignations, nos peurs, et même nos plaintes et nos larmes ne signifient plus rien devant la foi et la ferveur des guerriers de Dieu. Nous ne pouvons qu’enterrer nos morts chaque fois qu’au nom de Dieu les saints guerriers de Dieu ouvrent le feu. Un grand éwé est mort. Faisons résonner l’atopani, ce tam-tam qui en pays éwé annonce les nouvelles, et que toute la Terre écoute nos plaintes funèbres. Parons-le du plus beau « kente », chaussons-lui les plus beaux « ohinibas », chantons-le, dansons-le, et enterrons-le comme nous enterrons nos rois. Rendons-lui les derniers hommages dignes d’un vrai fils de ce peuple qu’il a tant aimé. Ce peuple qui ne l’oubliera jamais. Jamais.

David Yao Kpelly

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